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Srebrenica 2015 expliqué aux enfants

11 juillet 2015, par Bertrand LIAUDET

Srebrenica. Ce nom résonne pour beaucoup comme celui de la honte et d’une incompréhension. Presque d’une sidération.

Srebrenica. Ville de Yougoslavie qui vit se perpétrer le massacre de masse le plus épouvantable sur le territoire européen depuis la seconde guerre mondiale, après quatre années de conflit, en présence de la FORPRONU, Force de Protection des Nations Unies, et juste avant la fin du conflit sur le territoire bosniaque. La responsabilité des casques bleus fut engagée. Le massacre fut qualifié de génocide par le TPIY, institution des Nations Unies. 20 ans après, on cherche toujours des responsables à cette tragédie.

Srebrenica. Waterloo de la FORPRONU. Chant du cygne macabre de l’idéologie grand-serbe. Baroud de déshonneur des Européens. Comment cela fut-il possible ?

La recherche des responsabilités individuelles, faite par le TPIY ou par des militants, est utile et nécessaire. Néanmoins, elle n’apporte pas et n’apportera jamais de réponse satisfaisante à la question du sens. Pour comprendre, il faut faire apparaître les structures en deçà des responsabilités individuelles. Structures à la base d’une Histoire, car les résultats du TPIY nous le montre : une justice internationale sans Histoire est aveugle.

Rappelons-nous que les Bosniaques étaient régulièrement accusés de se bombarder eux-mêmes pour susciter le soutien des Américains et que les atermoiements de la communauté internationale étaient incompréhensibles. Tout cela pour aboutir en juillet 1995 à un acte de génocide, en Europe, dans une ville déclarée « zone de sécurité » par l’ONU. C’est ce brouillard dans la nuit serbe qu’il faudrait commencer à dissiper.

Bien sûr, ce sera un long travail historique et qui nécessitera la compilation de nombreuses sources. On peut toutefois poser quelques jalons.

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La guerre a commencé en Croatie en juillet 91. Les sécessionnistes serbes, soutenus par l’armée fédérale yougoslave, ont conquis la Krajina et la Slavonie orientale. Le conflit s’est achevé par un premier plan de paix, le plan Vance, négociateur américain de l’ONU, en janvier 92. Ce plan a accordé l’occupation d’une partie du territoire croate par des sécessionnistes serbes. La première FORPONU fut créée à cette occasion, pour servir de tampon entre les zones sécessionnistes et le reste du territoire croate. L’intégrité territoriale de la Croatie était toutefois maintenue en principe. C’est sur la base de cette intégrité territoriale que les Croates réintégreront les territoires sécessionnistes en 1995.

La guerre s’est ensuite déplacée en Bosnie.

De janvier à avril, les Européens tentèrent une proposition diplomatique à travers le plan Carrington-Cutileiro. Ce plan fut refusé par les Serbes de Bosnie en mars 1992 et la guerre commença en avril. De avril à juillet 1992, les sécessionnistes serbes prirent le contrôle de 70% du territoire bosniaque, mais pas de la capitale, Sarajevo.

En juillet les critiques internationales étaient très fortes contre les Serbes et la violence pratiquée. Les Etats-Unis envisageaient une intervention militaire. Le voyage du Président français à Sarajevo permit de calmer le jeu et de préparer la mise en place d’une deuxième mission pour la FORPRONU : assurer un pont aérien pour Sarajevo assiégée par les forces serbes. Les missions de la FORPRONU en Bosnie évolueront ensuite au fil des événements.

Début 1993, l’ONU et l’Europe étaient à la manœuvre pour faire avancer les négociations diplomatiques. Le plan Vance-Owen fut proposé. M. Owen était le négociateur anglais de l’Union européenne. Ce plan maintenait le principe de l’unité de la Bosnie en n’autorisant pas la possibilité de confédération de partie de la Bosnie avec un Etat voisin (concrètement de la zone serbe de la Bosnie avec la Serbie). Il fut refusé uniquement par les Serbes de Bosnie.

La conséquence de ce plan fut l’officialisation de la sécession croate en Bosnie. Les épisodes tragiques de Mostar commencèrent à cette période.

Après l’échec de ce plan, un nouveau plan fut proposé en juillet 1993 permettant de satisfaire aux exigences serbes : le plan Owen-Stoltenberg. Le Norvégien M. Stoltenberg était le nouveau représentant de l’ONU. Ce nouveau plan proposait la possibilité de la confédération précédemment évoquée. Biljana Plavsic, n°2 politique des Serbes de Bonie, condamnée plus tard par le TPIY, s’en réjouissait à l’époque voyant cela comme la possibilité de créer une Etat Serbe de Bosnie qui n’avait jamais existé dans l’histoire (LM, 25/08/93). Concrètement, ce plan était une acceptation de la loi du plus fort. Les Serbes l’ont signé. Ce sera le seul plan de paix que les Bosniaques n’auront pas signé.

La conséquence de ce plan fut une nouvelle sécession en Bosnie, celle de Fikret Abdic, un Bosniaques de la région de Bihac, qui fit sécession avec le gouvernement de Sarajevo.

Notons ici, qu’à aucun moment ce plan ne sera évoqué dans le procès contre Biljana Plavsic, ce qui démontre les limites de la justice internationale.

En novembre 1993, Milosevic pouvait confier que la république serbe de Bosnie ferait tôt ou tard partie de la Serbie et que 90% de la question nationale serbe était réglée (FH, P&C, 2007, p128), ou encore en août 1994, que la communauté internationale lui avait offert d’élargir de 25% son territoire et de 10% sa population avec la possibilité de former immédiatement une confédération avec les territoires sous contrôle serbe en Bosnie (FH, P&C, 2007, p128).

C’était toutefois une mauvaise compréhension des rapports de force au sein de la communauté internationale de la part de Milosevic. En effet, si l’été 93 fut l’acmé de la politique grand serbe, ce fut aussi le tournant de la guerre, le début de la fin pour les Serbes et pour la FORPRONU. Si le plan Owen-Stoltenberg avait été signé par les Bosniaques, la carte de l’Europe ne serait pas celle que nous connaissons. La Bosnie aurait été dépecée. Les Serbes de Bosnie se seraient confédérés à la Serbie (encore Yougoslavie à l’époque) et les Croates de Bosnie à la Croatie. Mais le soutien diplomatique américain et les menaces de l’OTAN contre les Serbes ont aidé les Bosniaques à résister à la pression diplomatique, à celle par exemple de l’ambassadeur de France en Bosnie de l’époque.

A partir de ce moment, qui correspond aussi à la prise en main du dossier par la nouvelle administration américaine, l’évolution générale fut favorable aux Bosniaques. La sécession de Abdic fut matée. La sécession croate fut résorbée avec la création d’une fédération croato-musulsmane à l’intérieur de la Bosnie début 1994, les tractations ayant étant menées par les Etats-Unis.

Face au refus de signer le plan Owen-Stoltenberg, les Serbes reprirent leur pression militaire sur Sarajevo. Les bombardements aveugles reprirent à l’automne 93 pour culminer avec le massacre du marché Markale à Sarajevo en février 94. Ce massacre conduisit à une intervention de l’OTAN et à une réorganisation de la gestion diplomatique et militaire du conflit : de la simple clé FORPRONU, on allait passer à la « double clé OTAN-FORPRONU » pour reprendre le langage de M. Juppé, ministre des affaires étrangères français de l’époque.

Le plan de paix suivant, plan du groupe de contact auquel participait désormais les Russes pour ajouter encore un peu plus de confusion à la compréhension des choses, revenait en arrière par rapport au plan Owen Stoltenberg en garantissant l’intégrité territoriale de la Bosnie. De nouveau, il fut refusé par les Serbes.

Vint enfin l’année 1995. Les Croates de Croatie décidèrent d’appliquer les principes du plan Vance et reprirent militairement le contrôle d’une partie des territoires sécessionnistes en mai (la Slavonie orientale). La première FORPRONU voyait ainsi son mandat se fracturer par une intervention militaire probablement conseillée et financée par les Américains (RL, AY, 2003, p293). Les rêves de grandes Serbie de Milosevic étaient en train de partir en fumée.

A l’été 95, la situation militaire et diplomatique en Bosnie devenait donc critique pour les Serbes. Dans l’agitation de la période, les Serbes s’en prirent directement à la deuxième FORPRONU (celle de Bosnie) pour se protéger des menaces de l’OTAN. En parallèle des négociations diplomatiques, l’objectif pour les Serbes étaient de tenter les conquêtes des enclaves bosniaques déclarées zones protégées par les Nations Unies : Srebrenica, Zepa et Gorazde. Seule Gorazde évita la chute.

C’est dans ce contexte que Srebrenica tomba le 11 juillet 1995, alors que le projet grand serbe était en train de mourir avec la FORPRONU qui l’avait accompagné. En août l’armée croate libéra la totalité des zones sécessionnistes en Croatie et les armées croato-bosniaques commencèrent à libérer les territoires sous contrôle serbe en Bosnie. L’avancée de cette armée fut stoppée, probablement sur ordre américain, pour que les négociations de Dayton commencent, sans le représentant des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, qui avait donc définitivement perdu la guerre militairement et politiquement.

Quand on lit les déclarations de Milosevic d’août 1994, on peut imaginer qu’en août 93, il pensait que le plan Vance et le plan Owen-Stoltenberg validaient la victoire du projet grand-serbe, et celle du projet grand croate de facto puisque les deux projets étaient les deux faces d’un même Janus. En août 93, il avait raison. Mais il n’a pas compris que les deux plans différaient essentiellement par le fait que l’un garantissait l’intégrité territoriale de la Croatie tandis que l’autre ne le faisait pas pour la Bosnie. On peut imaginer aussi qu’il a interprété la création de la Fédération croato-musulmane en Bosnie comme allant dans le sens de la disparition de la Bosnie. Comme étant un pas de plus vers la création d’une confédération entre la Croatie et la fédération croato-musulmane et d’une confédération entre la Serbie, encore appelée Yougoslavie à l’époque, et les Républiques serbes de Bosnie et de Croatie. Il a eu tort et c’est cette erreur dans le brouillard diplomatique qui conduira à la catastrophe de Srebrenica. La prise de la Slavonie par l’armée Croate en mai 1995 démontra que le projet grand serbe n’était plus d’actualité. La suite sera une agitation confuse et désespérée des Serbes de Bosnie dont les deux faits marquants seront la prise en otages des casques bleus puis le massacre de Srebrenica.

La guerre en Bosnie s’est achevée à l’automne 1995 par les accords de Dayton-Paris. Cette double présence des Etats-Unis et de la France est significative de la dialectique entre les deux puissances dans la gestion du conflit. Le siège de Sarajevo fut officiellement levé le 29 février 1996, près de 4 années après son instauration.

Cette victoire bosniaque et de l’OTAN conduisit au troisième plus grand débarquement de militaires américains sur le sol européen au 20ème siècle, et aboutira au bombardement de la Serbie par les avions de l’OTAN trois ans plus tard.

La Bosnie est toujours aujourd’hui un Etat unitaire mais divisé administrativement entre la République serbe et la fédération croato-musulmane. L’unité réelle du pays n’a pas été reconstruite. Le Président de la République serbe de Bosnie peut encore affirmer en juillet 2015 que le génocide de Srebrenica est un mensonge.

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Cette courte histoire, trop brève et trop elliptique, essaye de montrer les cohérences et les contradictions de l’intervention internationale en Bosnie qui conduisirent au massacre de plus de 8000 personnes.

C’est sur cette base, nous semble-t-il, qu’un travail de fond pourrait être engagé, pour la mémoire des victimes, pour celle des survivants et surtout, peut-être, pour une construction européenne qui s’appuie sur ses valeurs et ses erreurs assumées.

Bertrand Liaudet, 11 juillet 1995.

FH, P&C, 2007 : Florence Hartmann, Paix et Châtiment.

RL, AY, 2003 : Reneo Lukic, L’agonie yougoslave - 1986-2003

LM : Le Monde

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