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Commentaire de la correspondance entre Gottlob Frege et David Hilbert

5 avril 1998, par Bertrand LIAUDET

Approche de la philosophie des mathématiques à travers la controverse développée dans la correspondance entre Gottlob Frege et David Hilbert (opposition entre nominalisme et réalisme). Recherches préparatoires au travail de DEA.

Introduction

On se propose dans cette étude, de rendre compte de la correspondance entre Frege et Hilbert. Celle-ci se compose essentiellement de trois courriers (n1). Dans le premier courrier du 27 décembre 1899, Frege, à partir de la lecture des Grundlagen der Geometrie de Hilbert, expose ses points de divergence. Hilbert répond à ces objections dès le 29 décembre et envoie à Frege le texte de sa conférence de Munich concernant les axiomes de l’arithmétique. Frege répond le 6 janvier 1900, achevant sa lettre en proposant à Hilbert une publication de leur correspondance. Par manque de temps, Hilbert interrompra la correspondance le 15 janvier sans répondre à la proposition de publication.

Cette correspondance entre des mathématiciens auteurs d’ouvrages sur les fondements, l’un de l’arithmétique, l’autre de la géométrie, est pour le moins difficile. La première question qui se pose à sa lecture c’est : quelles connaissances préalables, quelles références faut-il pour arriver à en comprendre les enjeux et les principales subtilités (n2) ?

À la lecture de la première lettre de Frege, notre premier choix de références s’est porté sur l’œuvre de Frege de l’époque, soit l’introduction de la Begriffsschrift (n3), les Fondements de l’arithmétique (n4), Sens et dénotation, Concept et Objet, Concept et fonction (n5) (la Begriffsschrift, écrit technique, s’est avérée le texte le moins utile). De là, les objections de Frege devenaient plus compréhensibles.

Pour pénétrer un peu le discours de Hilbert, sans avoir à entrer dans des détails techniques, L’axiomatique de Blanché (n6) (les deux premiers chapitres) nous a été d’un grand secours, apportant aussi des notions utiles concernant la géométrie euclidienne.

À partir de là, il nous est apparu que le point central des divergences, expressément mis à jour par Hilbert, concernait la question de l’existence (n7). C’est pourquoi nous sommes revenus aux références du séminaire sur L’existence en mathématique dans le cadre duquel cette étude est entreprise. En particulier, l’article de Quine, On what there is (n8), propose une classification des mathématiciens, dont Frege et Hilbert, selon un critère d’engagement ontologique. Nous utiliserons donc ce texte en introduction pour fixer un horizon de l’interprétation de la correspondance entre Frege et Hilbert.

Frege concluant son premier courrier par l’exigence de s’entendre sur les expressions "explication", "définition", "axiome", on sera particulièrement attentif aux occurrences de ce vocabulaire, ainsi qu’au vocabulaire associé : "théorème", "postulat", "proposition", "énoncé", "principe", "caractéristique", "concept", "relation", c’est-à-dire le vocabulaire des Éléments d’Euclide et des Fondements de l’arithmétique de Frege.

Il ne s’agira pas seulement d’exposer ce que nous avons compris du sens de la polémique, mais d’exposer comment nous avons pu accéder à ce sens à partir d’une lecture linéaire et analytique de la correspondance, du dégagement méthodique des structures argumentatives et des éclaircissements trouvés dans les références déjà citées. Bien sûr, ce sera plus long, plus laborieux, moins synthétique, moins esthétique, mais aussi, espérons-le, un peu plus philosophique.

Horizon ontologique

Un des principaux apports du texte de Quine, On what there is, est de faire le parallèle entre, respectivement, les trois doctrines contemporaines de la philosophie des mathématiques : le logicisme, l’intuitionnisme et le formalisme, et les trois points de vue médiévaux au sujet des universaux : le réalisme, le conceptualisme et le nominalisme. Pour Quine, la question ontologique de l’existence des universaux et la détermination de ce qu’il appelle un "critère d’engagement ontologique" forment un principe de distinction valable entre les philosophies des mathématiques modernes (c’est-à-dire depuis Frege).

Pour Quine, la question du critère d’engagement ontologique est double : d’abord "est-ce que rien de ce que nous pouvons dire ne nous engage à l’assomption d’universaux" (n9). Autrement dit, y a-t-il quelque chose, dans le discours, qui nous engage ontologiquement ? Pour Quine la réponse à cette question est positive. La deuxième partie de la question du critère devient donc : qu’est-ce qui nous engage ontologiquement ? À cela Quine répond que "la seule manière dont nous pouvons nous engager ontologiquement [c’est] par l’utilisation de variables liées... Être admis comme une entité c’est, purement et simplement, être reconnu comme la valeur d’une variable... Les variables de la quantification, « quelque chose », « aucune chose », « toute chose », embrasse la totalité de notre ontologie, quelle qu’elle soit " (n10).

L’exemple proposé par Quine au § 36 n’est pas particulièrement clair. En effet, quand on dit "des chiens sont blancs", on a affaire à une proposition particulière affirmative, qu’on peut traduire en logique symbolique par $ x (Cx & Bx), et paraphraser en logique naturelle par "il y a, au moins, un chien blanc". On a donc du mal à comprendre pourquoi cela n’engagerait pas sur l’existence de la caninité et de la blancheur. Par contre, si on dit "tous les chiens sont des animaux", traduisible par " x (Cx -> Ax), il n’y a pas d’engagement ontologique. On n’a ni $ xCx, ni $ xAx. Il n’est pas dit qu’il y a un chien ou qu’il y a un animal. Ce qui est dit c’est que si il y a un chien alors c’est un animal. Cependant, cette critique n’invalide pas la classification de Quine.

Ainsi dans les paragraphes 37 à 42, Quine propose sa classification des philosophies des mathématiques selon leurs engagements ontologiques respectifs.

Les réalistes-logicistes sont représentés par Frege, Russell, Whitehead, Church et Carnap (n11). Au réalisme considérant que les entités abstraites (universaux) ont une réalité indépendante de l’esprit, correspond le logicisme qui tolère un usage des variables liées qui fait référence indistinctement à des entités abstraites, connues ou inconnues.

Les conceptualistes-intuitionnistes sont représentés par Poincarré, Brouwer et Weyl (n12). Au conceptualisme qui "soutient qu’il y a des universaux mais que ceux-ci sont produits par l’esprit", correspond l’intuitionnisme qui "n’admet l’usage des variables liées pour référer à des entités que lorsque ces dernières sont susceptibles d’être fabriquées individuellement à partir d’ingrédients précisés à l’avance".

Les formalistes-nominalistes sont représentés par Hilbert (n13). Le nominalisme rejette toute existence des entités abstraites. Pour un nominaliste, le seul mode d’existence des entités abstraites est verbal. C’est probablement pour cela que Quine ne donne pas de critère d’engagement ontologique des formalistes-nominalistes car ils ont répondu non à la première partie de la question du critère d’engagement ontologique : pour eux il n’y a rien dans le discours qui nous engage ontologiquement.

À cette classification schématique, il convient d’ajouter quelques nuances que Quine suggère lui-même. Lalande (n14) dit que le conceptualisme n’est pas un intermédiaire, un juste milieu, entre le réalisme et le nominalisme : le conceptualisme s’oppose soit à l’un soit à l’autre, mais en tant que réponse à des questions différentes. La différence entre conceptualisme et réalisme est de nature ontologique : pour le conceptualisme, les universaux n’existent pas en eux-mêmes, comme pour le réaliste, mais ne sont que des constructions de l’esprit. La différence entre conceptualisme et nominalisme est de nature épistémologique : elle relève de la théorie de la connaissance.

L’opposition ontologique revient à ce que dit Fraenkel cité par Quine (n15) sur l’opposition entre la découverte des logicistes et l’invention des intuitionnistes. Cette référence à Fraenkel fait penser à sa classification bipartite de la philosophie des mathématiques qu’il a proposée en 1935 (n16). Cette classification oppose les "réalistes modernes" pour qui la non-contradiction est nécessaire et suffisante pour l’existence des objets mathématiques et les "idéalistes modernes" pour qui la non-contradiction n’est pas suffisante pour l’existence, c’est-à-dire pour la vérité. Pour eux, c’est la possibilité de construire qui est essentielle. Les mathématiques se construisent dans le temps. Pour les réalistes, les mathématiques sont un monde de découvertes, pour les idéalistes, un monde d’inventions. Pour Fraenkel, chez les réalistes modernes, on va retrouver à la fois les logicistes et les formalistes (c’est-à-dire Frege et Hilbert), tandis que l’idéalisme moderne correspond à l’intuitionnisme.

Ainsi on comprend la position difficile que Quine donne au formalisme (n17). D’un côté, "le formaliste pourrait, comme le logiciste, trouver une objection dans la mutilation des mathématiques classiques". En effet les intuitionnistes rejettent le principe du tiers exclu, alors que pour Hilbert, une mathématique sans tiers exclu, c’est comme un boxeur sans poings ! D’un autre coté, le formaliste pourrait, "comme les nominalistes d’autrefois s’opposer à ce qu’on admette si peu que ce soit des entités abstraites", c’est-à-dire s’opposer au réalisme. Dans tous les cas, "le résultat est le même, le formaliste tient les mathématiques classiques comme un jeu de notations insignifiantes".

Nous en resterons là pour le positionnement de l’horizon ontologique.

Frege à Hilbert, 27 décembre 1899

Remarques générales

Cette première lettre de Frege est difficile d’accès d’abord pour des raisons typographiques. Frege écrit d’un seul bloc. L’édition allemande nous présente les pages de la lettre telle qu’elle est manuscrite : aucun paragraphe et aucun alinéa ne viennent structurer l’argumentation de Frege (n18). De plus les références faites au texte de Hilbert ne sont jamais citées expressément. Autrement dit, constatation amusante, Frege qui a développé une théorie de l’usage des guillemets pour parler du sens d’une expression, ne la met jamais en pratique dans ces deux lettres. Fort heureusement, les précieuses notes, des éditions allemandes et anglaises particulièrement, permettent de s’y retrouver sans avoir sous la main le texte de Hilbert.

Trois premières objections

Objection 1 : définition et explication (n19)

Dans cette première section, Frege reprend à son compte une critique de Thomae : l’explication du § 3 « n’est pas une définition car on ne donne pas de caractéristique permettant de reconnaître si la relation "entre" est réalisée ». Il convient, pour comprendre ce que dit Frege, de préciser le sens qu’il donne au vocabulaire.

Les fonctions dont la valeur est toujours une valeur de vérité se divisent en concept : ce sont les fonctions à un argument, et en relation : ce sont les fonctions à deux arguments (n20). Un objet est tout ce qui n’est pas fonction. Les deux valeurs de vérité sont des objets (n21). Un concept, ou une relation, a des caractères, ou caractéristiques. Les caractères qui composent le concept sont des propriétés des choses qui tombent sous le concept et non pas des propriétés du concept lui-même (n22).

Il semble donc que Frege veut dire que l’explication du § 3 de Hilbert n’est pas une définition car elle ne permet pas de savoir si un objet ou un n-uplet d’objets tombe ou non sous la relation "entre".

Frege pointe ensuite le fait que la distinction entre "explication" et "définition" n’est pas claire. Il souhaite que Hilbert clarifie ces deux termes, ouvrant ainsi la possibilité que ce qui lui apparaît comme illégitimement être une définition puisse être une explication. La note de l’édition française (n23) nous dit que Hilbert fera le contraire dans la seconde édition : il remplacera explication par définition !

Ajoutons qu’on peut s’interroger sur la signification de la référence à Thomae. Thomae est un formaliste radical : il tient l’arithmétique pour un jeu avec des symboles vides de sens (n24). Peut-être Frege a-t-il voulu, en s’appuyant sur Thomae, donner plus de poids à sa critique de logicien.

Définition de la définition (n25)

Dans le cas du § 4, les explications ont cette fois-ci même allure que les définitions. D’où l’équivocité du terme "explication" précédemment noté. Mais cette fois-ci, on a bien à faire à une définition. On sait ici ce à quoi ce qu’on définit est censé référer (bedeuten).

Il faut rappeler que Frege distingue entre le signe (nom, groupe de mots, caractères), le sens, la dénotation et la représentation (n26). La dénotation est ce que désigne le signe. Le sens du signe est le mode de donation de l’objet. Un nom propre, ce dont la dénotation est un objet déterminé, ne saurait être un concept ou une relation (n27). Un nom propre (mot, signe, combinaison de signes, expression) exprime son sens, dénote ou désigne sa dénotation. Avec le signe, on exprime le sens du nom propre et on en désigne la dénotation (n28). La dénotation d’un nom propre est l’objet même que nous désignons par ce nom ; la représentation que nous y joignons est entièrement subjective ; entre les deux gît le sens, qui n’est pas subjectif comme l’est la représentation, mais qui n’est pas non plus l’objet (n29).

Frege précise donc dans ce passage ce qu’il entend par définir. D’une part il faut que l’on puisse savoir si un objet tombe ou non sous le concept défini. D’autre part, il faut que les mots utilisés dans la définition aient une dénotation (Bedeutung).

Objection 2 : axiome (n30)

Frege revient sur la critique de l’explication du § 3, auquel il ajoute le § 1. À la différence du § 4, la référence des mots "points", "droite" et "entre" n’est pas indiquée. On a affaire ici au vocabulaire fondamental de la géométrie, ce qui n’était pas le cas du § 4. C’est pourquoi Frege suppose que ce vocabulaire est supposé connu selon la modalité de la géométrie euclidienne, c’est-à-dire grâce à l’intuition spatiale, ce que confirme le fait qu’Hilbert écrive que les axiomes expriment les données fondamentales de notre intuition. Si dans ses Fondements de l’arithmétique, Frege cherchait à montrer que les propositions arithmétiques sont analytiques (n31), il croit toujours, avec Kant, que les propositions géométriques sont synthétiques a priori (n32). Frege pointe alors une certaine forme d’équivocité dans le fait que plus loin (n33) Hilbert conçoit un point comme une paire de nombre, donc fonde la géométrie sur l’arithmétique, elle-même fondée sur la logique d’après Frege, donc considère les propositions géométriques comme analytiques. Quelle que soit l’opinion que l’on a de cette méthode (n34), n’en demeure pas moins qu’il y a équivocité.

Objection 3 : définition et axiome (n35)

Dans la continuité de l’objection précédente, Frege considère qu’il est douteux (n36) que d’un côté les axiomes de la géométrie puissent donner une exacte et complète description des relations et que de l’autre les axiomes définissent le concept "entre" (n37). Ce doute vient de ce que cette formulation confond axiome (proposition évidente ou comme le dit Hilbert, fait fondamental de notre intuition) et définition.

Position de Frege

1er point : propositions définitionnelles et non définitionnelles (n38)

Frege vient de dénoncer : 1) un manque de clarté dans la définition de la définition (qui se traduit par une confusion entre explication et définition) ; 2) une confusion entre axiome de l’intuition et axiome de la logique ; 3) une confusion entre axiome et définition. Après ces trois premières objections, qui se réduisent au problème des définitions de la définition et de l’axiome, Frege va exposer ses vues sur la question des propositions (sätze) mathématiques en général qu’il divise en propositions définitionnelles (les définitions) et le reste, les propositions non définitionnelles (axiomes, lois fondamentales et théorèmes).

2ème point : définitions (n39)

La première caractéristique d’une définition, c’est qu’elle confère une dénotation à un signe qui n’en possédait pas auparavant. Une fois fait, on peut l’utiliser comme un axiome, un énoncé (satz) évident. Frege précise que dans une définition, rien n’est affirmé, prétendu (n40) mais que quelque chose est stipulé (n41), constaté : on fait savoir quelque chose expressément, on fait savoir quelle est la dénotation d’un signe. Nous touchons ici une question ontologique. La définition n’est ni une création, ni une chimère, c’est une découverte : elle constate une réalité. C’est pourquoi elle a la simplicité de l’axiome et ne demande pas de preuve ou de fondation, ce qui est sa deuxième caractéristique essentielle.

C’est ce caractère qui entre en jeu dans l’exemple qui suit. Connaissant "1", "+ ", et "3", mais pas "4", on ne peut pas dire que "3+1 = 4" est une définition car si elle confère bien une dénotation à un signe qui n’en possédait pas auparavant, cette proposition n’est pas une proposition qui ne demande pas de preuve.

3ème point : propositions non définitionnelles (n42)

Les propositions non définitionnelles ne doivent contenir aucun signe dont le sens et la référence ne soit pas déjà pleinement établis. Elles n’établissent (n43) pas la dénotation d’un signe. Les théorèmes étant des énoncés démontrables, on comprend bien ce principe. Mais les axiomes étant des propositions évidentes, cela implique, étant donné que les signes de l’axiome ont une dénotation, que l’évidence concerne la relation entre ces signes (*1).

4ème point : éclaircissements (n44)

Le troisième type de proposition ne concerne pas les propositions mathématiques puisque celles-ci ont été logiquement divisées en définitionnelles et non définitionnelles : ce sont les éclaircissements. Ils ressemblent à la définition parce qu’ils visent à établir la dénotation d’un signe. Mais, alors que dans le cas d’une définition, le signe ne possédait initialement pas de dénotation, dans le cas d’un éclaircissement, le signe en possède trop et il s’agit alors de repousser les dénotations indésirables et de conserver la dénotation désirée. Ces propositions ne peuvent pas être utilisées pour prouver des théorèmes car elles ne sont pas assez précises. Dans un système mathématique, ces propositions de l’antichambre servent uniquement à fournir certaines dénotations. Ces dénotations viennent alors de l’usage et leur éclaircissement nécessite la connivence et la clairvoyance du lecteur.

5ème point : définition et axiome (n45)

Pour finir sa présentation, Frege revient sur axiome et définition. L’axiome est une proposition vraie qui ne peut pas être prouvée. Sa vérité est fondée sur l’intuition spatiale. De cette vérité il suit qu’ils ne se contredisent pas. Les définitions, qui peuvent être utilisées comme des axiomes, ne doivent pas non plus se contredire. Mais leur non-contradiction n’est pas inhérente à leur source, comme dans le cas des axiomes. La définition, tout en découvrant le réel, est une construction à partir de principes (dans le cas de la définition du nombre, c’est une construction à partir des principes de logique). Aucune contradiction ne saurait surgir si l’on si conforme (n46).

Objections suivantes

Objection 4 : axiome (n47)

Une fois ses positions rappelées, Frege revient sur l’axiome II.1 du § 3 déjà cité dans la première partie de la lettre. Frege met à jour ce qui lui semble être une contradiction. D’après ce qu’il vient de dire, cet axiome, comme tout axiome, présuppose la dénotation des expressions qu’il utilise. Or une des dénotations d’une des expressions, le mot "entre", est redonnée plus loin, au risque d’une équivocité. Pour qu’il n’y ait pas équivocité, il faudrait que "entre" n’ait pas de dénotation dans l’axiome, auquel cas l’axiome ne pourrait pas être vrai et donc ne pourrait pas être un axiome, pas être un fait fondamental de notre intuition. Mais alors, qu’est cette proposition ? Elle ne peut pas être une définition de "entre" pour les mêmes raisons d’équivocité.

Objection 5 : définition et axiome (n48)

La dernière objection concerne le § 10. Frege revient à la question de la deuxième objection : quelle différence y a-t-il entre axiomes et définitions ? Cette objection est moins argumentée que la précédente.

Conclusion (n49)

Cette première lettre de Frege est donc toute entière consacrée aux notions de définition et d’axiome. La 1ère objection concernait la différence entre explication et définition, la 2ème et la 4ème le statut de l’axiome, la 3ème et la 5ème la différence entre définition et axiome. Pour nourrir ses objections, Frege a développé ses propres vues concernant axiomes et définitions. En approfondissant la question de la définition de la définition, Frege aborde des problèmes ontologiques. Pour finir, il synthétise ses objections dans la conclusion en disant qu’il faut d’abord s’entendre sur les expressions "définition" et "axiome" (la question de l’explication étant en réalité secondaire).

Hilbert à Frege, 29 décembre 1899

Remarques générales et introduction (n50)

La lettre de Hilbert a une structure beaucoup plus facile à appréhender que celle de Frege. Il est vrai qu’il est plus facile de répondre à une courte série d’objections que de trouver des objections sérieuses dans un ouvrage technique ! Ainsi Hilbert, après une courte introduction où il rappelle, ponctuant par "je voulais", ses objectifs, répond particulièrement à 4 passages de la lettre de Frege qu’il cite : 3 objections (1, 2 et 4) et une affirmation de la position de Frege (le 5ème point). La 1ère objection concernait la définition, la 2ème, la 4ème et la partie du 5ème point traité concernaient les axiomes.

D’emblée, Hilbert situe sa réponse à un niveau différent de celui de la question. Pour Frege, pour se comprendre il faut impérativement s’entendre sur les concepts de base. Pour Hilbert, pour s’entendre il ne faut pas oublier les objectifs poursuivis. Ce sont positions presque antinomiques : pour Hilbert, s’entendre, c’est s’entendre sur la fin, donc sur le tout. Pour Frege, s’entendre, c’est s’entendre sur l’origine. Autrement dit, Hilbert explique d’abord que Frege n’a pas compris, ou ne connaît pas, l’enjeu des Grundlagen der Geometrie, ce qui sous-entend d’emblée que les objections de Frege sont mineures, qu’il n’est pas question pour Hilbert d’un remaniement de grande ampleur.

Hilbert expose donc ses objectifs : répondre à des questions qui sont les questions qui traversent l’histoire de la géométrie et non pas à des questions du type "qu’est-ce qu’un point ?" ou encore "ceci est-il un point ?". Ce qui intéresse Hilbert, c’est la position relative des axiomes dans le système de la géométrie ou la démontrabilité des postulats (leur transformation en théorème), bien plus que la question de la définition. Ce qu’il veut, c’est trouver de nouveaux principes, de nouveaux fondements à la géométrie, afin de limiter le rôle des axiomes euclidiens (les propositions évidentes) tout comme celui des postulats. Pour Hilbert, cet objectif est un objectif de logique qu’il pense avoir atteint en mettant en œuvre une méthode répondant aux exigences de la logique.

Une fois cette mise au point faite, Hilbert répond aux objections.

Réponse à la 1ère objection (n51)

Hilbert répond d’abord à l’objection concernant la définition. Pour lui cette objection est tout à fait secondaire et il y répond d’une manière typiquement nominaliste : il suffit de mettre définition devant la série des axiomes et de les considérer comme des caractéristiques. Bien sûr, cela ne change rien, du point de vue de Frege, à l’objection de Frege. Ce qui apparaît ici, ce sont deux conceptions radicalement opposées de la définition. Pour Frege, la définition fait le lien entre un signe et un objet, entre un signe et sa dénotation. La définition d’un concept (ou d’une relation) permet ensuite pour toute chose de savoir si elle tombe ou non sous le concept. Pour Hilbert, ce qu’il appelle définition pour essayer de satisfaire Frege, est ce qu’on appelle aujourd’hui une définition par postulat qui reprend une notion introduite par Gergonne (n52) : le sens est fixé par l’usage. Ce qui implique qu’il peut être amené, non pas à se modifier radicalement, mais au moins à se préciser avec les développements démonstratifs. C’est la distinction entre définition explicite, celle de Frege, et définition implicite. Les définitions par postulats ont donc cette caractéristique : l’équivocité. D’un point de vue ontologique, cela signifie que pour Hilbert, le principe ne contient pas en lui-même, analytiquement, tout son développement.

Réponse à la 2ème objection (n53)

Avec la deuxième réponse, Hilbert met à jour "le cœur du malentendu" : il "ne désire rien supposer connu" tandis que c’était "l’impression" de Frege dans sa deuxième objection. Le malentendu s’éclaire donc et semble bien d’ordre ontologique : pour Frege, il y a du supposé connu, pas pour Hilbert. Pour Frege, ce supposé connu c’est ce qui est donné dans l’évidence intuitive, dans l’intuition pure de l’espace. Ce supposé connu sous-entend donc un supposé existant. On sait que pour Frege, les propositions de la géométrie sont synthétiques a priori. Hilbert par contre rejette toute définition d’ordre intuitive ou métaphysique qui poserait de l’être a priori. Il ne désire rien supposer connu et ses définitions ne supposent pas l’existence mais elles "amènent... à l’existence". C’est pourquoi il rejette toute définition métaphysique qui dégénère forcément en un jeu de cache-cache.

Après ces quelques remarques d’ordre terminologiques, Hilbert note que les axiomes, constituant la définition (implicite), doivent pouvoir être posés librement. C’est une nouvelle distinction ontologique qui apparaît car pour Frege, "le nombre n’est pas plus un objet psychologique ou un produit de nos processus psychiques que ne l’est la mer du nord... Le nombre est tout aussi objectif [que la mer du Nord]" (n54). La définition ne saurait donc être libre. Comme il le dit dans sa première lettre : dans une définition, rien n’est affirmé, prétendu, mais quelque chose est constaté. Ce platonisme caractéristique de Frege peut cependant être nuancé puisqu’il distingue aussi entre objectif et réel. L’équateur est objectif bien que ce soit une ligne fictive : ce n’est pas un produit de notre imagination, mais on ne peut pas non plus l’appeler réel comme la terre elle-même. "Par objectivité, j’entends indépendance par rapport à nos sensations, intuitions et représentations... mais non indépendance par rapport à la raison. Prétendre dire ce que sont les choses indépendamment de la raison, ce serait prétendre juger sans juger, laver le cuir sans le mouiller" (n55). Cette nuance conceptualiste n’est cependant pas faite pour améliorer l’entente entre Frege et Hilbert.

Commentaires sur la position de Frege : la définition des axiomes (n56)

Hilbert approfondit encore le différent en revenant sur un passage de la lettre de Frege dans lequel il exposait sa doctrine et particulièrement sa conception de l’axiome. Pour Frege, les axiomes de l’intuition (la géométrie fregéenne est euclidienne et kantienne) viennent de la réalité des choses. Si ces axiomes sont vrais (c’est-à-dire si notre intuition ne nous a pas trompés), alors il s’en suit qu’ils ne se contredisent pas. Donc la vérité atomique de l’axiome porte en elle-même la possibilité de sa coexistence non-contradictoire avec les autres axiomes. Dans cette position, le fondement est intuitif.

Pour Hilbert c’est exactement le contraire : "si les axiomes arbitrairement posés avec toutes leurs conséquences ne se contredisent pas, alors ils sont vrais et les choses qu’ils définissent existent. C’est pour moi le critère de la vérité et de l’existence" (n57). Ce point est extrêmement important pour Hilbert : il en donne un exemple puis dit que c’est la clé pour comprendre ses Grundlagen der Geometrie. Puis disant que le changement de nom (caractéristique au lieu d’axiomes, etc.) est un point superficiel, il confirme le fait que les réponses terminologiques qu’il a apportées aux premières objections ne peuvent évidemment pas satisfaire Frege. Ce qui importe c’est que "il est impossible de donner en trois lignes une définition complète. Chaque axiome apporte quelque chose à la définition, et donc chaque nouvel axiome modifie le concept." L’important pour Hilbert c’est sa définition de la définition. Ce qui la caractérise et l’oppose à celle de Frege, c’est qu’elle n’est pas atomique. Elle est constituée d’axiomes (n58). Elle n’est pas absolue, elle est fonction d’un tout plus vaste qu’elle. En conséquence de quoi, le point sera différent selon les géométries, euclidienne ou non. Cependant, bien que "chaque axiome apporte quelque chose à la définition, et donc chaque nouvel axiome modifie le concept", n’en demeure pas moins que "une fois qu’un concept a été complètement et univoquement fixé, il est... illogique d’ajouter un axiome." C’est-à-dire que pour Hilbert la vérité atomique d’un axiome ne suffit pas à garantir le maintien de la non-contradiction d’un système auquel il serait intégré. Pour illustrer cette différence majeure qui l’oppose avec Frege, Hilbert critique certaines pratiques des physiciens.

Réponse à la 4ème objection : la question de l’équivocité (n59)

Pour Hilbert, chaque théorie peut toujours être appliquée à une infinité de systèmes d’éléments de base. Autrement dit, puisqu’une théorie est faite d’explications-définitions qui posent et amènent à l’existence des concepts caractérisés par les axiomes, cette existence ne peut être conçue, pour éviter prolifération ontologique et contradiction, que d’un point de vue nominaliste. En terme fregéen cela signifie que chaque système de définition peut toujours dénoter une infinité de systèmes d’objets, ce qui est à l’opposé de la conception fregéenne pour qui la définition ne fait que découvrir une réalité objective univoque. Pour Hilbert, la définition est équivoque : la totalité des assertions d’une théorie peut être appliquée à diverses parties du monde phénoménal à la seule condition que les axiomes requis soient satisfaits. Il faut du coup "une certaine bonne volonté et un certain tact pour appliquer une théorie au monde phénoménal". Cependant plus la théorie est développée et ramifiée et plus l’application au monde phénoménal est aisée, plus une application à un monde phénoménal ne correspondant pas est difficile.

Passage de la théorie au monde phénoménal (n60)

Cette question de la méthode d’application de la théorie au monde phénoménal mérite qu’on s’y attarde. Elle rejoint les deux questions transcendantales capitales selon Kant : comment la mathématique pure est-elle possible et comment la science pure de la nature est-elle possible ? Pour Kant, "outre ce qui est empirique et de façon générale outre ce qui est donné à l’intuition sensible, il faut encore que s’ajoutent des concepts particuliers, qui ont leur origine tout à fait a priori dans l’entendement pur, sous lesquels chaque perception peut être subsumée et grâce auxquels elle peut ensuite être transformée en expérience" (n61). Ces concepts, ce sont les concepts purs de l’entendement ou catégories. Le phénomène c’est "l’objet indéterminé d’une intuition empirique... Assurément la matière de tout phénomène [ce qui correspond à la sensation] ne nous est-elle donnée qu’a posteriori, mais il faut que sa forme [ce qui fait que le divers du phénomène est intuitionné selon certains rapports qui l’ordonnent] réside a priori dans l’esprit... abstraction faite de toute sensation." (n62) Du coté des mathématiques, toute connaissance "présente ceci comme particularité qui lui est propre : il faut qu’elle commence par présenter son concept dans l’intuition et même a priori, donc dans une intuition qui n’est pas empirique, mais pure... Il faut qu’elle ait pour fondement quelque intuition pure, où elle puisse présenter tous ses concepts in concreto et cependant a priori, ce qui s’appelle : les construire." (n63)

Hilbert distingue bien sur la théorie du monde phénoménal. Mais du côté de la théorie, il range les mathématiques, du côté du monde phénoménal, la physique. Ainsi le point peut-il s’appliquer aux petits corps, la droite aux rayons lumineux. Les mathématiques ne sont donc plus liées à la réalité par l’intuition pure de l’espace et du temps. Ce sera la première remarque de la réponse de Frege : si ses fondements de l’arithmétique avaient pour objectif de faire de l’arithmétique une science purement logique, les fondements de la géométrie ont pour objectif de faire de la géométrie, et par là de toutes les mathématiques, une science purement logique. Du coup, c’est la question même du fondement qui est en jeu, c’est l’évidence intuitive comme subsomption fondatrice qui est remise en cause et donc l’acception euclidienne de l’axiome en tant que proposition évidente. Cette évidence atomique venant à disparaître, la définition, au moins dans le cas de la géométrie, ne peut pas se réduire à quelques lignes, c’est-à-dire à une formule classique de subsomption. Dans le cas de l’arithmétique, la définition est encore possible, même en rejetant l’intuition temporelle pure, parce que cette intuition temporelle fondait le nombre dans son acception ordinale : compter est fondé sur le temps. Mais l’acception cardinale du nombre est indépendante du temps et Frege a voulu montrer qu’elle pouvait être fondée sur la seule logique. Dans le cas de la géométrie, le problème est différent parce que l’évidence intuitive des éléments de la géométrie (le point, la droite, etc.) semble plus évidente que celle des éléments de l’arithmétique, c’est-à-dire que la géométrie semble plus directement liée à l’espace que l’arithmétique au temps. Finalement, on peut dire que si Frege déplace les fondements de l’arithmétique de l’intuition pure à la logique, ce n’est qu’un déplacement en ce sens que pour Frege, le vrai et le faux sont tout autant objectifs que les nombres ou la mer du nord et que du coup la définition de la définition (et donc la définition des axiomes) n’en est pas transformée. Avec Hilbert, on pourrait dire qu’il y a une dissolution du fondement objectif de la géométrie : le déplacement des fondements de la géométrie de l’intuition pure à la logique n’est pas un déplacement des objets de l’intuition pure vers les objets de la logique mais bien une nouvelle définition de la définition et de l’axiome.

Frege à Hilbert, 6 janvier 1900

Dans sa première lettre, Frege avait pointé essentiellement la question de la définition et de l’axiome. La première partie de cette nouvelle lettre va reprendre ces questions en présentant les points communs et en synthétisant l’opposition avec Hilbert en une formule : vos axiomes ne permettent pas de savoir si ma montre est un point. La dernière partie de la lettre va reprendre la question ontologique en y introduisant une nouveauté : la distinction entre les concepts de premier et de second degré.

Trois accords relatifs

Indépendance mutuelle et non-contradiction (n64)

Dans la première partie de sa deuxième lettre, Frege va se placer du point de vue de Hilbert.

D’abord (n65), il exprime qu’il a compris que Hilbert souhaite détacher la géométrie de l’intuition spatiale. On vient de voir certaines conséquences que cela pouvait avoir sur le dialogue entre Frege et Hilbert. Dans ces conditions, l’axiome ne peut plus être une évidence intuitive et fondatrice : il n’est qu’une hypothèse, une condition des théorèmes (n66).

De là (n67), Frege comprend qu’il faille prouver d’une part l’indépendance mutuelle et l’absence de contradiction des axiomes (n68) et d’autre part l’indémontrabilité de certaines propositions à partir des axiomes. Frege aborde le problème logiquement et montre d’abord que ces deux éléments sont équivalents.

Puis (n69) il estime que 1) prouver que des propriétés ne se contredisent pas c’est trouver un objet possédant ces propriétés et que 2) prouver l’indépendance mutuelle des axiomes c’est montrer que la non-occurrence (n70) de l’un ne contredit pas l’occurrence des autres, autrement dit en reprenant le principe précédent, c’est trouver un objet possédant les propriétés des seconds mais pas du premier.

Pour Frege, cette démonstration est impossible dans la géométrie euclidienne. Ici (n71) l’argumentation de Frege n’est pas des plus claires étant donné que 1) d’un côté il prétend se résigner à l’usage hilbertien du mot axiome (si les axiomes arbitrairement posés avec toutes leurs conséquences ne se contredisent pas, alors ils sont vrais et les choses qu’ils définissent existent), et que 2) d’un autre coté il revient à un usage euclidien, celui de l’axiome intuitivement et surtout atomiquement vrai. À la fois il lui paraît "essentiel [que Hilbert veuille] considérer la géométrie euclidienne d’un point de vue supérieur" et il a des doutes sur ce point de vue plus élevé (n72). Pour Frege, "cette entreprise a un intérêt scientifique de premier plan, si elle concerne les axiomes au sens traditionnel de la géométrie euclidienne", par contre l’intérêt lui semble moindre avec un "système de propositions arbitrairement posées", c’est-à-dire les axiomes de Hilbert. Il semble que ce que dit Frege c’est qu’une réduction de la géométrie à la logique lui semble intéressante du point de vue logiciste, c’est-à-dire en maintenant la vérité atomique des axiomes logiques, et que par contre la démarche formaliste de Hilbert ne lui paraît pas intéressante.

Méthode génétique (n73)

Sur la méthode génétique, méthode de définition par extension successive, Frege est d’accord avec Hilbert : une fois qu’un concept a été complètement et univoquement fixé, il est... tout à fait illégal et illogique d’ajouter un axiome. On peut cependant douter que ce soit pour les mêmes raisons !

Les indéfinissables (n74)

Enfin Frege convient que le point, notion première de la géométrie, ne puisse pas être défini.

Suite de la 2ème objection (n75)

Reprenant la deuxième objection de sa première lettre, Frege revient sur le statut des axiomes et leur rapport avec la définition. Dans un exemple à la manière de Hilbert, Frege présente son objection concernant la définition. Pour Frege, une définition doit toujours permettre de savoir si un objet tombe sous un concept (ou si un n-uplet d’objets tombe sous une relation). Pour cela, il faut que tous les termes de la définition aient une dénotation, excepté celui qu’on définit. Ce n’est pas le cas pour "entre" dont les axiomes constituant la définition contiennent aussi "point" et "droite" dont on ne connaît pas la dénotation. Et pour "point", on ne peut finalement pas "décider de la question de savoir si ma montre est un point".

Constatons ici que Frege a dit un peu avant qu’il ne craignait pas d’admettre que "point" ne puisse pas du tout être défini, autrement dit qu’il soit impossible de savoir si un objet tombe ou pas sous le concept de point. Pour Frege, peut être que "point" n’est pas définissable, mais s’il l’est, ou bien si on prétend le définir, alors la définition doit être telle qu’on puisse savoir pour tout objet s’il tombe ou non sous le concept de point. Frege penche plutôt du côté de l’indéfinissabilité car pour lui la géométrie est synthétique a priori donc fondée sur l’intuition pure de l’espace. Si le point est une intuition, sa définition est impossible. Dans l’éventualité où il serait possible de fonder la géométrie sur la logique, alors une définition du point serait possible, au même titre qu’une définition du nombre ainsi que Frege l’a montré dans ses Fondements de l’arithmétique. Mais cette définition devra permettre de savoir si un objet tombe ou pas sous le concept de "point".

Dernières objections

Objection 7 : concepts de premier et de second degré (n76)

Dans l’objection suivante, Frege fait intervenir sa distinction entre concept de premier degré et concept de deuxième degré (n77). Les concepts ont des caractéristiques qui sont les propriétés des choses qu’ils subsument. Un concept qui subsume des objets est un concept de premier degré. Les propriétés de ces concepts sont des caractéristiques des concepts de second degré qui les subsument. "Par exemple, si on réunit sous un même concept tous les concepts sous lesquels un seul objet tombe, l’unicité est le caractère de ce concept. Il subsumerait entre autre le concept « lune terrestre » mais non le corps céleste de ce nom" (n78). Le nombre est donc un concept de second degré. Or "l’existence a quelque analogie avec le nombre. Affirmer l’existence, ce n’est rien autre que nier le nombre zéro" (n79). Pour Frege, l’existence est une propriété du concept, pas de la chose. L’existence est un concept de second degré qui subsume des concepts de premier degré. C’est cette argumentation qui permet de réfuter la preuve ontologique de l’existence de Dieu, en effet, elle "souffre de cette faute qu’elle traite l’existence comme un concept du premier degré" (n80). On comprend donc pourquoi Frege introduit Dieu dans son exemple (*2).

Frege constate alors que les caractéristiques des axiomes de Hilbert sont de degré supérieur, c’est-à-dire qu’elles ne s’appliquent pas à des objets mais seulement à des concepts. Frege critique le fait que Hilbert ne distingue pas ces deux niveaux : "vous cherchez en réalité à définir des concepts de second degré, mais ils ne sont pas clairement distingués de ceux du premier degré." Pour Frege, cette confusion est la source d’autres confusions terminologiques concernant la définition, le système ou le concept.

Objection 8 : la question de l’existence, suite du 5ème point (n81)

Dans son objection précédente, Frege citait l’axiome 17 : "sur toute droite il y a au moins deux points ; dans tout plan il y a au moins trois points non alignés, et dans l’espace quatre points non coplanaires » (n82). L’important est ici le "il y a", c’est-à-dire la question ontologique. C’est ce point qui va susciter l’objection suivante. Frege revient sur les commentaires de Hilbert quant à sa définition des axiomes, c’est-à-dire la principale opposition mise à jour par Hilbert (n83), et affirme que c’est là que leurs vues sont les plus opposées. Rappelons que la position de Hilbert est que "si les axiomes arbitrairement posés avec toutes leurs conséquences ne se contredisent pas, alors ils sont vrais et les choses qu’ils définissent existent. C’est pour moi le critère de la vérité et de l’existence" (n84).

Frege va d’abord critiquer le critère de l’existence (n85). Il reformule le principe d’une façon plus formelle : "si les propositions... ne se contredisent pas..., alors il y a un objet qui a toutes les propriétés...". D’après ce qu’on vient de rappeler concernant les concepts de premier et second degré, ce principe n’est pas acceptable pour la même raison que la preuve ontologique n’est pas acceptable. De l’antécédent concernant des concepts de premier degré, on ne peut rien déduire concernant un concept de second degré. La différence avec la preuve ontologique, c’est l’ajout de la non-contradiction. Or pour Frege, pour prouver la non-contradiction, il n’y a qu’un moyen : indiquer un objet ayant la totalité des propriétés, autrement dit prouver la non-contradiction c’est prouver l’existence. Donc si la non-contradiction contient en elle-même l’existence, le principe devient analytique et inutile.

Frege critique ensuite le critère de la vérité (n86). Dans une démonstration qui met en œuvre une sorte de modus tollens et un exemple sur les triangles (n87), Frege rejette l’inférence de la cohérence à la vérité, au même titre qu’il avait rejeté l’inférence de la cohérence à l’existence.

Ces deux dernières objections permettent de donner un nouvel éclairage sur ce qui sépare Frege et Hilbert. En effet, Frege caractérise le système des axiomes de Hilbert comme un concept, une relation, de second ordre (n88). Ce système sera donc saturé non par des objets au sens fregéen mais par des concepts de premier ordre. En conséquence de quoi, dans la théorie de Hilbert, il n’y a pas de rapport avec la réalité objective et donc aucune notion d’existence au sens du réalisme. C’est pour cela que c’est à ce propos que Frege déclare leurs vues les plus opposées. Cette opposition n’est autre que celle du réalisme et du nominalisme.

Conclusion

Ce court échange de lettres a le mérite de faire apparaître clairement deux écoles de mathématiques modernes, ce qui les oppose et ce qui les réunit. À travers la question de la définition apparaît la distinction entre un logicisme « atomiste » et un formalisme plutôt « holiste », tandis qu’à travers la question de l’existence c’est le réalisme du logicisme qui s’oppose au nominalisme du formalisme (*2). On découvre aussi ce qui réunit ces deux théories : la volonté de s’affranchir de l’intuition. Logicistes et formalistes sont des non-intuitionnistes (le propos est à nuancer avec Frege puisqu’il n’a pas rejeté le fondement intuitif de la géométrie). Les non-intuitionnistes veulent substituer à l’intuition sensible son équivalent intellectuel, autrement dit, ils croient à une intuition intellectuelle, qu’elle soit atomique ou systémique. La première conduit au réalisme et la deuxième au nominalisme car le système n’a pas de réalité et les atomes sont toujours problématiques. Pour les intuitionnistes, les axiomes sont des propositions catégoriques et apodictiques : c’est la modalité de l’évidence. Le système mathématique développé sur cette base est donc catégorico-déductif. Si les axiomes deviennent des hypothèses, la mathématique devient un système hypothético-déductif. On passe du fondé dans l’intuition au sans fondement, autrement dit du fondé sur la substance au fondé sur la causalité, la régression à l’infini de la recherche causale ne s’arrêtant pas sur les évidences atomiques mais sur la cohérence, c’est-à-dire la non-contradiction, de la totalité des principes. Dans ce cas, la modalité de chaque principe est toujours problématique tandis que la modalité d’un système de principes peut être apodictique. Parce que les principes sont problématiques, le choix de leur affirmation ou de leur négation est atomiquement hypothétique.

Hilbert a finalement interrompu la correspondance en reconnaissant qu’il devrait repréciser ses formulations (n89). Alors que l’axiomatique était encore toute jeune, peut-être la distinction entre les concepts de premier et de second degré l’avait-elle touchée.

Notes

n0 : Ce travail a été réalisé dans le cadre d’un DEA d’Histoire et Philosophie des Sciences, Université de Paris 1 - Panthéon Sorbonne, 1997-1998, pour la validation du séminaire de J. Mosconi : "L’existence en Mathématique".

n1 : On trouve une traduction française de ces 3 lettres dans Logique et fondements des mathématiques, anthologie (1850-1914), Payot, 1992, pp. 220-235 (LFM). On trouve le texte allemand dans : Frege, Kleine Schriften, Zweite Auflage, Georg Olms Verlag, 1990, pp. 407-422. Signalons aussi la traduction anglaise (pp. 31-52) dans laquelle on trouve la réponse de Hilbert du 15 janvier : "as I am at the moment overburdened with all kinds of work, it is unfortunately impossible for me to reply in detail to your letter. Your discussion is of much interest and great value to me. It will at least prompt me to think more precisely and to reformulate my thoughts more carefully."

n2 : L’introduction de J. Dubucs, LFM, pp215-220, plus technique que la correspondance elle-même, ne nous a, malheureusement, pas été d’un grand secours.

n3 : LFM, pp. 98-129.

n4 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, Seuil

n5 : Pour ces trois articles : Frege, Ecrits logiques et philosophiques (ELP), Points Seuil, 1971.

n6 : Blanché Robert, L’axiomatique, 1955, PUF, Quadrige, 1990.

n7 : LFM, pp. 226-227.

n8 : Quine, On what there is, 1948, traduction de Vidal-Rosset, dans Philosophie des mathématiques et systèmes philosophiques, Doctorat de philosophie et d’épistémologie de l’Université de Provence, pp. 264-284.

n9 : Quine, On what there is, § 34, p. 276.

n10 : Quine, On what there is, § 35, pp. 276-277.

n11 : Quine, On what there is, § 40, p. 278.

n12 : Quine, On what there is, § 41, pp. 278-279.

n13 : Quine, On what there is, § 42, p. 279.

n14 : Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, tome 1, Quadrige PUF, 1926, p. 162, conceptualisme.

n15 : Quine, On what there is, § 41, p. 279.

n16 : Fraenkel, Sur la notion d’existence en mathématique, 1935. Ce que nous disons sur Fraenkel provient du séminaire de M. Mosconi.

n17 : Quine, On what there is, § 42, p. 279.

n18 : La division en paragraphe de l’édition française, qui reprend celle de l’édition anglaise, est du fait de l’édition.

n19 : LFM, de "Je commencerais...", p. 221, l. 1 à "... la différence nous échappe", p. 221, l. 9.

n20 : Frege, Fonction et concept, ELP, p. 90 et p. 99.

n21 : Frege, Fonction et concept, ELP, p. 92.

n22 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, § 53, p. 180.

n23 : Cf. note 4 de la traduction française, p221.

n24 : Cf. note 2 de la traduction française, p221.

n25 : LFM, de "Les explications du § 4... " p. 221, l. 9 à "... est censé référé" p. 221, l. 14.

n26 : Frege, Sens et dénotation, ELP, pp. 102-106.

n27 : Frege, Sens et dénotation, ELP, p. 103.

n28 : Frege, Sens et dénotation, ELP, p. 107.

n29 : Frege, Sens et dénotation, ELP, p. 106.

n30 : LFM, de "Il en va tout autrement..." p. 221, l. 15 à "... comme un point" p. 221, l. 23.

n31 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, § 3, pp. 126-128, § 87, p. 211.

n32 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, § 89, p. 213.

n33 : Cf note 12 du texte allemand, p. 419.

n34 : Cf note 6 de l’édition française, LFM, p. 221.

n35 : LFM, de "Vous écrivez..." p. 221, l. 23 à "... que je saisis mal" p. 222, l. 10

n36 : Dans ces critiques, Frege reprend la formulation de Hilbert. Voir le texte allemand p. 407 et les notes 13 et 14 p. 419, et le texte anglais et la note 7 p.35.

n37 : Le texte allemand dit seulement zwischen.

n38 : LFM, de "S’agissant des définitions... " p. 222, l. 10 à "... lois fondamentales et théorèmes)." p. 222, l. 25.

n39 : LFM, de "Chaque définition... " p. 222, l. 25 à "... les autres propositions" p. 223, l. 3.

n40 : L’allemand dit behauptet et l’anglais assert.

n41 : L’allemand dit festgestellt (constater) et non pas festgesetzt (festsetzen : fixer) comme c’est malencontreusement écrit en complément de la traduction française. L’anglais dit lay down. Il est utile de suivre les occurrences du terme.

n42 : LFM, de "Les propositions non... " p. 223, l. 3 à "... déjà établis" p. 223, l. 13.

n43 : feststellen

n44 : LFM, de "On peut admettre... " p. 223, l. 13 à "... la mathématique" p. 223, l. 36.

n45 : LFM, de "Quant aux axiomes... " p. 223, l. 36 à "... si l’on s’y conforme" p. 223, l. 43.

n46 : a posteriori, on songe ici à la lettre de Russell du 16 juin 1902 et à l’antinomie qu’il fait surgir de la loi V des Grundgesetze de Frege. CF. LFM, pp. 240-243.

n47 : LFM, de "Si je pose...", p. 223, l. 43 à "... la chose plus loin.", p. 224, l. 21.

n48 : LFM, de "Vous écrivez au § 10...", p. 224, l. 21 à "... ne me paraît pas si aisé. ", p. 224, l. 34.

n49 : LFM, de "Je n’accorderais pas...", p. 224, l. 35 à la fin.

n50 : LFM, du début de la lettre de Hilbert à "... à votre lettre.", p. 226, l. 7.

n51 : LFM, de "Vous dites...", p. 226, l. 8 à "... II1... II5. »", p. 226, l. 14.

n52 : Cf. Blanché, L’axiomatique, p. 37 et Dubucs, LFM, p.217.

n53 : LFM, de "Vous ajoutez...", p. 226, l. 15 à "... il est vrai. »", p. 226, l. 33.

n54 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, § 26, p. 153.

n55 : Frege, Les fondements de l’arithmétique, § 26, p. 155.

n56 : LFM, de "J’en arrive...", p. 226, l. 33, à "... éviter cette erreur.", p. 228, l. 15.

n57 : LFM, p. 227.

n58 : qui, comme le souligne justement Blanché, sont plus proches des postulats classiques que des axiomes, l’axiomatique étant bien plutôt une postulatique. Cf. Blanché, L’axiomatique, p. 18.

n59 : LFM, de "Il ne me reste plus...", p. 228, l.16, à "... de toute façon inévitable", p. 229, l. 3.

n60 : LFM, de "Naturellement il faut...", p. 229, l.3, à la fin de la lettre de Hilbert.

n61 : Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, § 18, p. 65, traduction Guillermit, Vrin, 1993.

n62 : Kant, Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, pp. 117-118, traduction A. Renaut, Aubier, 1997.

n63 : Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, § 7, p. 44.

n64 : LFM, du début de la lettre de Frege, p. 229 à "... n’est pas atteint", p. 230, l. 35.

n65 : LFM, du début de la lettre de Frege, p. 229 à "... « droite », etc.", p. 229, l. 11.

n66 : Cf. Blanché, L’axiomatique, pp. 14-15 : de catégorique et apodictive, la mathématique est devenue hypothético-déductive.

n67 : LFM, de "Vous cherchez à prouver...", p. 229, l. 11, à "... conséquence de B et C »", p. 230, l. 2.

n68 : Dans l’édition allemande de la copie de la lettre de Frege, copie de la main de Frege, "die Widerspruchslosigkeit" et "nicht in Widerspruch stehen" sont utilisés plusieurs fois (pp.413-414), ce que la traduction anglaise rend par "lack of contradiction" et "do not contradict" (p. 43) et la traduction française par "cohérence" et "ne contredit pas". On peut peut-être regretter que le rapport original de vocabulaire entre les deux concepts n’apparaisse plus. Remarquons par ailleurs que dans la traduction française, la première occurrence de "cohérence" est mystérieusement affectée à "Widerspruchsfreiheit". Peut-être l’original de la lettre de Frege est-il différent de la copie de sa main ?

n69 : LFM, de "Maintenant que tout...", p. 230, l. 3, à "... du mot « axiome »", p. 230, l. 13.

n70 : nichtstattfinden, soit, littéralement : "non avoir lieu"

n71 : LFM, de "Or il est...", p. 230, l.13, à "... n’est pas atteint", p. 230, l. 35.

n72 : On sait par ailleurs que pour Frege la géométrie non euclidienne est une curiosité historique comparable à l’alchimie. Cf. Dubucs, LFM, p. 216.

n73 : LFM, de "Je conviens volontiers...", p. 230, l.36, à "... reste inchangé", p. 231, l. 17.

n74 : LFM, de "Je conviens également...", p. 231, l.18, à "... être indéfini", p. 231, l. 21.

n75 : LFM, de "Aussi longtemps que...", p. 231, l.22, à "... pour l’apprendre", p. 233, l. 1.

n76 : LFM, de "Ajoutons à ceci...", p. 231, l. 1, à "... nommer un concept", p. 233, l. 39.

n77 : Cf. Frege, Fondements de l’arithmétique, § 53, p. 181, Fonction et concept, ELP, p. 98, Concept et objet, ELP, p. 130.

n78 : Cf. Frege, Fondements de l’arithmétique, § 53, p. 181

n79 : Frege, Fondements de l’arithmétique, § 53, p. 180.

n80 : Frege, Fonction et concept, ELP, p. 98, note 1.

n81 : LFM, de "C’est sûrement...", p. 234, l. 1, à la fin.

n82 : Cf. LFM, Note 19, p. 223.

n83 : Cf. LFM, pp. 227 et 223.

n84 : LFM, p. 227.

n85 : LFM, de "Supposons que..." p. 234, l. 5 à "... il en existe un.", p. 234, l. 24

n86 : LFM, de "Si une proposition..." p. 234, l. 25 à la fin.

n87 : Cette démonstration n’est pas des plus claires.

n88 : Cf. Dubucs, LFM, p. 219

n89 : Cf. ici, note n1.

Notes complémentaires

*1 : C’est la relation qui est postulée comme une évidence ou pas.

*2 : L’Un est le concept sous lequel tombent tous les concepts sous lesquels ne tombe qu’un seul objet. L’Un est un ensemble d’ensembles. Mais les objets des ensembles inclus n’appartiennent pas à l’Un.

En théorie des ensembles, l’ensemble des Hommes et celui des Singes sont inclus dans celui des Animaux. Il existe des objets dans Hommes. Tous les hommes sont des animaux se traduit par Vx, H (x) -> A (x). Mais A (H) n’est pas vrai, mais non pas d’un point de vue sémantique, mais d’un point de vue syntaxique. Les objets de A ne sont pas des ensembles (ou des concepts).

Si maintenant on considère l’Un. Il contient l’ensemble Lune terrestre dans lequel il n’y a qu’un seul objet. Un (L) est vrai, mais si Lune (x) est vrai, alors Un (x) n’est pas vrai pour autant. Un (x) est syntaxiquement faux et ne veut rien dire.

*3 : La définition concerne l’épistémologie. Ici le conceptualiste rejoint le réaliste. L’existence concerne l’ontologie. Là le conceptualiste rejoint le nominaliste. Cf. les considérations de Lalande rapportées p. 4.

*4 : Logicistes et intuitionnistes ont des axiomes catégoriques et apodictiques, fondés dans l :’intuition, intellectuelle pour l’un, sensible pour l’autre. Le fondement dans l’intuition sensible fait des intuitionnistes des constructivistes, en ce sens que cette intuition n’est qu’un point de départ, toujours mouvant. Les évidences intuitives sensibles peuvent changer. En se sens les intuitionnistes se rapprochent des formalistes.

Ajoutons que les intuitionnistes ont expressément abandonné le tiers exclu. Les formalistes ont abandonné le principe de contradiction, en ce sens que les axiomes peuvent être inversés dans une autre axiomatique. Ne pourrait-on pas alors considérer que, par analogie, les logicistes ont abandonné le principe d’identité.

Pour Leibniz, une chose ne peut pas être égale à une autre. Leibniz serait un logiciste, Kant un intuitionniste (comme le montrent les triades systématiques de sa table des jugements) et Hegel, leibnizianisant Kant, serait un formaliste, un nominaliste ; sa logique abandonnant le principe de non-contradiction puisque la chose auto-pose sa négation.

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